La flore du Mormont
Texte rédigé par Caroline Sonnay, biologiste.
La flore du Mormont est caractérisée par une dominance d’éléments médio-européens thermophiles et subméditerranéens, avec une intrusion étonnante d’espèces montagnardes dans un site couvert de végétation collinéenne. Elle comprend de nombreuses espèces rares au niveau cantonal, voire au niveau Suisse, dont un grand nombre d’orchidées et un hybride de tilleul rare à l’état spontané. Ses chênaies présentent également une richesse exceptionnelle. Avec plus de 900 espèces relevées sur le site, le Mormont peut être considéré comme un des hauts lieux botaniques du canton de Vaud, avec comme avantage certain le fait d’être encore très préservé des plantes invasives.
Une flore variée et atypique
Les sols calcaires et morainiques de la colline du Mormont contrastent fortement avec les terrains tourbeux et fertiles de la plaine environnante[1]. Cette originalité, ainsi qu’un climat chaud et sec, ont produit une flore spécialisée rare ailleurs sur le Plateau.
Cette flore est caractérisée par une dominance des éléments médio-européens thermophiles[2], comme le réséda des teinturiers (Reseda luteola ; EN, VU, 4, VD[3]) et le miroir de Venus (Legousia speculum-veneris ; VU, VU, 4, VD), ainsi que par des éléments subméditerranéens[4], dont les trèfles scabre (Trifolium scabrum ; CR, EN, 3, VD) et strié (T. striatum ; CR, EN, 3, VD). Elle présente également une intrusion étonnante d’espèces montagnardes (principalement à l’ubac[5] et dans les cluses[6]) dans un site couvert de végétation collinéenne[7]. Le lys martagon (Lilium martagon ; VU, LC, K, CH) constitue un bon exemple de cette flore adaptée à des climats plus froids et moins ensoleillés.
La présence d’un sous-sol calcaire perméable à l’eau, allié à un climat chaud et une pluviosité faible, a favorisé à l’adret une flore spécialement résistante à la sécheresse qui est caractéristique du pied du Jura vaudois[8]. La plupart des espèces se sont adaptées en fleurissant dès le début du printemps afin d’achever leur cycle avant les grandes chaleurs de l’été. C’est le cas par exemple de l’anémone pulsatille (Pulsatilla vulgaris ; EN, EN, 3, CH), de nombreuses orchidées et des jonquilles (Narcissus pseudonarcissus ; NT, NT, K) qui tapissent le sous-bois de certaines chênaies[9]. Les lichens terricoles[10] sont également des organismes hautement spécialisés que l’on peut rencontrer dans les prairies les plus sèches[11].
Les affleurements morainiques présents par endroits au Mormont participent encore à sa diversité floristique en ajoutant à une flore basophile[12] thermophile, des espèces acidophiles[13]. Parmi celles-ci, se trouvent le trèfle des champs (Trifolium arvense ; VU, LC, K, VD) et la luzule de Forster (Luzula forsteri ; EN, NT, K, VD), tous deux présents dans le périmètre concerné par le projet de Holcim.
La richesse des chênaies
Les chênaies du Mormont abritent trois espèces de chêne. Chacune est adaptée à une station particulière : le chêne pubescent (Quercus pubescens) occupe les stations les plus sèches, le chêne pédonculé (Quercus robur), celles qui sont constamment alimentées en eau et riches en matières nutritives, et le chêne sessile (Quercus petraea) est adapté à la quasi totalité des stations intermédiaires. Toutefois, il est très rare de trouver ces espèces à l’état pur au Mormont, car toutes s’hybrident entre elles. Elles donnent ainsi naissance à des arbres aux caractères intermédiaires et à une diversité génétique plus élevée[14].
Selon le Centre de conservation de la faune et de la nature du canton de Vaud, « cette diversité s’exprime sous des aspects aussi variés que la forme des feuilles, la pilosité des rameaux de l’année et de la face inférieure des feuilles ou encore la richesse tannique et aromatique du bois typique selon l’espèce et la station, richesse valorisée par l’art de l’élevage des vins en barriques de chêne. Le patrimoine génétique très diversifié du chêne représente un des meilleurs atouts pour affronter l’évolution bioclimatique en cours »[15].
Les chênaies comptent en outre parmi les forêts accueillant le plus grand nombre d’espèces végétales et animales de Suisse, comme le vulnérable pic mar. Elles offrent également aux promeneurs de multiples lieux de randonnées et de détente[16]. Enfin, la forêt du Mormont est considérée comme la plus fertile des chênaies jurassiennes[17].
De très rares hybrides de tilleuls
Il n’y pas que les chênes qui s’hybrident au Mormont. En effet, les deux espèces de tilleuls présentes, le tilleul à petites feuilles (Tilia cordata) et le tilleul à larges feuilles (T. platyphyllos) donnent également lieu à un hybride (T. x europaea)[18]. Il s’agit d’une situation exceptionnelle, car, si cet hybride de tilleul est fréquemment planté dans les parcs et jardins, il est « très rare à l’état spontané »[19].
De rares orchidées
Le Mormont constitue une région exceptionnellement riche en orchidées avec 16 (24 avec celles citées par Rüegger) espèces présentes. Toutes sauf une (Dactylorhiza fuchsii) sont protégées au niveau suisse du fait de leur rareté[20].
Alors qu’il est très sporadique dans la région du pied du Jura, l’orchis bouc (Himantoglossum hircinum ; VU, CH) est bien présent au Mormont, jusque dans les anciennes carrières abandonnées et sur les talus recolonisés[21].
Mais d’autres espèces importantes d’orchidées se trouvent également au Mormont : l’orchis pyramidal (Anacamptis pyramidales ; CH) et l’orchis tacheté (Dactylorhiza maculata ; CH) présentant une priorité de conservation élevée pour la Suisse[22], ainsi que les menacés acéras homme pendu (Aceras anthropophorum ; VU, CH), ophrys abeille (Ophrys apifera ; VU, CH) et orchis pourpré (Orchis purpurea ; VU, CH)[23].
Deux autres orchidées potentiellement menacées étaient aussi présentes autrefois au Mormont : la spiranthe spiralée (Spiranthes spiralis ; NT, CH), jusque dans les années 1950, et l’épipactis à petites feuilles (Epipactis microphylla ; NT, CH), jusque dans les années 1970. La spiranthe spiralée n’y a malheureusement plus été observée depuis[24].
Une mise à jour des orchidées présentes sur le Mormont est souhaitable dans les prochaines années, pour mieux gérer les parcelles qui en contiennent encore.
Une multitude d’espèces intéressantes…
Mais les orchidées ne sont pas les seules espèces rares présentes au Mormont. En effet, parmi plus de 900 espèces cataloguées principalement par Rüegger[25], plus de 200 sont menacées, de priorité élevée pour la Suisse ou protégées au niveau cantonal et/ou fédéral. Une centaine sont comprises dans la Liste rouge des plantes et fougères menacées de Suisse[26] et près de 80 sont protégées au niveau cantonal.
En plus des 24 orchidées citées précédemment, 4 espèces sont protégées au niveau suisse. Ces dernières sont le sorbier domestique (Sorbus domestica ; EN, EN, 3, CH) et le lys martagon (Lilium martagon ; VU, LC, K, CH), espèces présentes dans les chênaies, ainsi que l’iris jaune (Iris pseudacorus ; LC, LC, -, CH) et la langue de cerf (Phyllitis scolopendrium ; VU, LC, K, CH), appréciant tous deux l’humidité présente dans les cluses du Mormont.
Enfin, les plantes les plus menacées du Mormont sont la cotonnière vulgaire (Filago vulgaris ; CR, CR, 2, VD) et la gesse hérissée (Lathyrus hirsutus ; CR, CR, 2, VD), deux plantes rudérales présentes sur le plateau agricole à l’ouest du Haut de Mormont, et l’orchis tacheté (Dactylorhiza maculata ; -, CR, 2, CH), une orchidée des sols acides.
Des milieux encore bien préservés des espèces invasives
Le Mormont étant un lieu assez préservé des activités humaines, les plantes invasives y sont rares. Seules 8 espèces de la Liste noire et une de la Watch list[27] y ont été repérées. Limitées en surfaces, elles poussent dans la plupart des cas dans ou à proximité des milieux fortement modifiés par l’homme, comme l’ancienne carrière Testori et la carrière actuelle[28]. Il est à remarquer que la forêt du Haut de Mormont, concernée par le projet de Holcim, est totalement épargnée par ce phénomène.
Flore du périmètre concerné par le projet de Holcim
D’après les données fournies par Info Flora[29], la zone concernée par le projet de Holcim comprend 16 espèces menacées au moins au niveau régional. Deux d’entre elles ne possèdent pas d’autres stations connues dans le secteur du PAC Mormont[30]. Il s’agit de l’épervière de Savoie (Hieracium sabaudum ; NT, LC, -, -) et de l’épipactis à petites feuilles (Epipactis microphylla ; EN, NT, K, CH), une orchidée protégée. La luzule de Forster (Luzula forsteri ; EN, NT, K, VD) est quant à elle présente dans une seule autre station située sur la colline de Tellériat.
Une des deux dernières stations connues d’une autre orchidée, la platanthère à deux feuilles (Platanthera bifolia ; NT, LC, K, CH), se trouve également dans cette zone, alors qu’en 1983 cette espèce était également présente dans le secteur de la carrière. Tel est également le cas du chèvrefeuille des bois (Lonicera periclymenum ; NT, NT, K, -) et de l’épervière précoce (Hieracium glaucinum ; RE, NT, K, -).
Deux autres espèces importantes sont présentes dans le secteur concerné par le projet de Holcim : la jonquille (Narcissus pseudonarcissus ; NT, NT, K, -), qui forme une colonie dans le sous-bois de la chênaie près du sommet du Mormont, et la violette singulière (Viola mirabilis ; VU, NT, K, VD), qui tapisse la strate herbacée des tillaies.
Concernant les stations ayant été repérées dans la carrière, il est difficile de dire si elles ont disparu, mais, au vu de l’exploitation intensive du lieu, cela est fort probable. Rüegger[31], dans la conclusion de sa Flore du Mormont, confirme d’ailleurs que certaines espèces anciennement présentes sur le coteau des Liapes (emplacement actuel de la carrière), comme la spiranthe spiralée (Spiranthes spiralis ; CR, NT, K, CH), une orchidée rare, ont disparu. Quatre autres espèces menacées présentaient également des stations situées dans ce secteur. Toutes ne présentent plus qu’une station dans la zone du PAC Mormont, dans des secteurs qui ne sont pas compris dans le projet d’Holcim. Parmi elles, se trouvent le rosier à petites fleurs (Rosa micranta ; EN, NT, K, VD) et une troisième orchidée, la limodore à feuilles avortées (Limodorum abortivum ; EN, NT, K, CH).
Le Mormont : une région floristiquement riche
Les chiffres cités plus haut illustrent bien la richesse floristique du Mormont, à la fois en nombre d’espèces (plus de 900) et en proportion d’espèces rares et protégées (plus de 200). Et si, selon nos données (certainement incomplètes), la zone concernée par le projet de Holcim ne comprend qu’une petite partie de ces plantes menacées, certaines d’entre elles sont très rares au Mormont et pourraient, en cas de destruction de ce secteur, disparaître définitivement de la zone du PAC Mormont.
Enfin, selon Rüegger[32], « Le Mauremont a livré à l’auteur autant de trouvailles floristiques qu’aux floristes du siècle passé. Le cortège floristique est resté très riche. Toutefois quelques espèces ont disparu. Ce sont des adventices[33] céréalières et de la vigne, éliminées comme partout par de nouveaux modes culturaux, et des espèces cantonnées à des biotopes détruits comme les marais, le coteau des Liapes (emplacement de la carrière) et l’entrée méridionale du vallon de la Fully. De nombreuses espèces rares dans le pays n’apparaissent que très sporadiquement au Mauremont : en a-t-il toujours été ainsi, ou bien ces espèces se sont-elles raréfiées dans le site au cours de ce siècle?
« Quoi qu’il en soit, le Mauremont conserve une grande valeur de patrimoine floristique. »
Références :
- BLANC P., CHENEVAL G., DUMONT C., 1989 : Le Mormont. Conception de l’exploitation de la carrière dans le cadre de la protection du site du Mormont. Rapport préliminaire, 18 pp.
- CENTRE DE CONSERVATION DE LA FAUNE ET DE LA NATURE (CCFN), 2010 : Le pied du Jura et le Mormont, Fiche Biodiversité, 8 pp. (www.vd.ch).
- CLOT F. et MONNET J.-C., 2003 : PAC Mormont. Plan de gestion de la carrière Testori, 10 pp.
- HOFFER-MASSARD F., 2000 : Excursion au Mormont du 20 mai 2000 (compte rendu non publié).
- INFO FLORA, 24.1.2013 : Liste d’espèces de la flore pour le périmètre du Mormont (fichier xls).
- KISSLING P., 1984 : Le Mauremont, Cartographie phyto-écologique dans l’étage collinéen jurassien in Mémoires de la Société vaudoise des Sciences naturelles, n° 102, vol. 17, Fasc. 4, pp. 162-225.
- LIEUTAGHI P., 1969 : Livre des arbres, arbustes et arbrisseaux, éd. Robert Morel, p. 1302.
- MOSER D., GYGAX A., BÄUMLER B., WYLER N. et PALESE R., 2002 : Liste Rouge des fougères et plantes à fleurs menacées de Suisse. Ed. Office fédéral de l’environnement, des forêts et du paysage, Berne; Centre du Réseau Suisse de Floristique, Chambésy; Conservatoire et Jardin botaniques de la Ville de Genève, Chambésy. Série OFEFP «L’environnement pratique». 118 pp.
- OFEV 2011 : Liste des espèces prioritaires au niveau national. Espèces prioritaires pour la conservation au niveau national, état 2010. Office fédéral de l’environnement, Berne. L’environnement pratique n° 1103: 132 pp.
- RÜEGGER R., 1984 : Catalogue de la flore du Mormont in Bull. Soc. Vaud. Sc. Nat., n° 366, vol. 77, pp. 143-167.
- http://forums.infoclimat.fr, 28.1.2013.
- fr.wikipedia.org, 28.1.2013.
- www.infoflora.ch, 15.1.2013.
- www.cps-skew.ch, 29.1.2013.
- www.larousse.fr, 30.1.2013.
[2] Faisant partie de la flore caractéristique de l’Europe centrale et appréciant particulièrement la chaleur (fr.wikipedia.org, 28.1.2013).
[3] Entre parenthèses, se trouvent les statuts de liste rouge régionale et suisse, suivi du statut de priorité au niveau national et du degré de protection de l’espèce. Définition des statuts de la Liste rouge des plantes : CR = au bord de l’extinction, EN = en danger, VU = vulnérable, NT = potentiellement menacée, LC = non menacée, ainsi que des statuts de priorité au niveau national : 1 = très élevée, 2 = élevée, 3 = moyenne, 4 = faible, K = priorité au niveau cantonal, – = nulle, et des statuts de protection : CH = protection au niveau suisse, VD = protection au niveau du canton de Vaud, – = pas de protection dans le canton de Vaud.
[4] Rattachés à la région intermédiaire entre celles présentant un climat médio-européen et un climat méditerranéen. Le degré de sécheresse des lieux où on les trouve est donc également intermédiaire entre ces deux climats (http://forums.infoclimat.fr, 28.1.2013).
[5] Versants d’une vallée de montagne qui bénéficient de la plus courte exposition au soleil (fr.wikipedia.org, 28.1.2013).
[6] Vallée creusée perpendiculairement dans une montagne par une rivière (fr.wikipedia.org, 28.1.2013).
[13] Préférant les sols au pH acide, comme ceux qui se trouvent sur les dépôts morainiques de roche cristalline. F. Hoffer, comm. pers.
[21] Rüegger, 1984. Données floristiques complémentaires : Info flora, 24.12013, Kissling, 1984, F. Hoffer, comm. pers.
[22] Lorsqu’une espèce présente un niveau de priorité élevé en matière de conservation pour la Suisse, cela signifie que notre pays possède une responsabilité particulière dans sa conservation (notre pays est alors en général considéré comme un réservoir important pour cette espèce ; OFEV, 2011).
[27] La liste noire comprend les néophytes envahissantes de Suisse qui causent actuellement des dommages au niveau de la diversité biologique, de la santé et/ou de l’économie. La présence et l’expansion de ces espèces doivent être empêchées. La Watch list comprend quant à elle celles qui ont le potentiel de causer des dommages, dont l’expansion doit être surveillée et si nécessaire empêchée. Dans les pays voisins, elles créent déjà des problèmes (www.cps-skew.ch, 29.1.2013).
[33] Qui se développent en dehors de leur habitat normal et sont liées à l’agriculture (fr.wikipedia.org, 28.1.2013).
La flore du Mormont: quelques liens
- Catalogue de la flore du Mormont: Robert Rüegger et Pascal Kissling, Bulletin de la Société Vaudoise des Sciences Naturelles, No 366, Vol 77, 1984.
- Carte de la végétation du Mauremont: Pascal Kissling, Mémoire de la Société vaudoise des Sciences naturelles, 102, 1984.
- Le Mauremont: cartographie phyto-écologiue dans l’étage collinéen jurassien: Pascal Kissling, Mémoire de la Société vaudoise des Sciences naturelles, 102, 1984.
- Travail de certificat de botanique et de géobotanique: Alain Chanson, Etude floristique et pédologique de cinq garides de la région de La Sarraz, non publié, 1975.